mardi 6 avril 2021

Facteur psychologique en architecture

En tant qu’architecte, j’ai été amenée à travailler sur différents projets et j’ai eu la chance de tomber sur des demandes très variées allant de la simple villa aux immeubles de bureaux à énergie positive en passant par les gendarmeries, les logements sociaux, les hôtels de luxe ou les maisons de retraite.

Chaque projet a sa phase d’études, de préparation et d’immersion. Immersion dans le mode de fonctionnement, immersion dans la gestion de tous les jours, la gestion des flux et l’occupation futur. C’est la matérialisation du projet architectural, de l’idée à l’ouvrage avec un objectif clair qui est de saisir le concept « projet architectural » de la genèse de l’idée jusqu’à ce qu’il devienne une réalité sur le terrain.

Dans un des livres que j’ai lus, Jean-Pierre Chupin explique que le projet « consiste à rapprocher des réalités hétérogènes, sans rapport logique préalable entre elles : un programme social, des structures porteuses, des réseaux de fluides, des formes urbaines, des règlements, des couleurs, des matériaux, etc., à découvrir ou bien à établir des rapports entre ces réalités ». En d'autres termes, à construire une nouvelle réalité ordonnée (on peut dire de cet ordre qu'il est un sens, une harmonie, une régularité. etc.), ceci en vue d'un résultat essentiel : rendre l'espace habitable (fonctionnellement, symboliquement. etc.) ».

Mais, en réalité, dans pas mal de projets les architectes oublient le côté psychologique, l’impact des lieux sur le mental des personnes, l’influence de l’environnement sur l’esprit. Depuis plusieurs années, les spécialistes du comportement apportent des arguments empiriques sur comment les endroits que nous habitons peuvent agir sur nos pensées, nos sentiments et nos comportements, notamment dans les hôpitaux. Plus que pour d’autres bâtiments, la construction d’un hôpital s’avère extrêmement contrainte par un programme d’une grande complexité fixé en amont et avec lequel l’architecte doit composer tout comme avec le site et les règles, elles aussi très contraignantes, de la composition architecturale.

J’ai travaillé sur la conception de l’hôpital Cognacq-Jay à Paris avec l’architecte Toyo Ito, pour ceux qui le connaissent, j’ai bossé avec l’équipe sur beaucoup de détails relatif au bâtiment, aux façades, aux jeux de lumières, l’éclairage dans le respect de la signature de l’architecte star, les vis, le calepinage des carreaux par rapport aux interrupteurs, les rideaux, les portes, après tout le respect des normes du Dtu, les normes de l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, les brancards et la protection des murs, les accès pompiers, la sécurité incendie. On a imaginé les occupants des lieux vivre au quotidien, passer par là, dormir ici, travailler avec assez de lumière de jour, ne pas avoir froid en fonction de l’orientation de la chambre, les sièges pour les visiteurs, etc.

On a quadrillé tous les aspects du bâtiment et on a fini avec un beau projet, mais pendant tout ce temps, je ne me suis jamais imaginée en tant que patiente et ce que l’angoisse de la maladie pouvait avoir comme impact sur moi !

 

Mais depuis quelques années, j’ai visité des hôpitaux en tant que patiente, en tant qu’accompagnatrice, en tant qu’utilisatrice. Il y a quelques mois, j’ai été à l’hôpital accompagnant mon mari pour des examens annuels, j’ai patienté pendant des heures dans la salle d’attente sombre au sous-sol à regarder les malades passer, les médecins crapahuter, les infirmières cheminer et les murs blancs sans âme. La conception de cette pièce d’attente sans fenêtres, avec un éclairage fluorescent blanc et sans stimulation a généré de l’ennui qui a fait monter le niveau de stress et a fait revenir beaucoup de souvenirs douloureux sans oublier le temps d’attente, le stress, le manque d’oxygène et l’angoisse des résultats.


Si cet espace m’a complètement chamboulé c’est à cause de son aménagement et sa conception. Il y a 3 ans, j’ai passé une semaine avec mon père dans un hôpital neuf au Liban. En dehors du stress des analyses et de l’angoisse des résultats, le séjour d’une semaine était vécu avec un service plutôt hôtelier qu’hospitalier dans une chambre avec vue sur mer !

Toutes les chambres de cet hôpital ont été conçues en respectant les règles d’aménagement en matière d’accessibilité handicapés ce qui permet à ceux qui peuvent de pouvoir évoluer sans assistance dans leur chambre. En effet la chambre a été dès le départ pensée pour favoriser au maximum l’autonomie, la sérénité et le confort sonore en dehors du bruit habituel des hôpitaux.

Avec du recul aujourd’hui, je suis persuadée qu’on ne peut pas désolidariser la réflexion sur la conception architecturale de celle de sa réception. Dans un hôpital, les usagers sont particulièrement vulnérables et dans la quasi impossibilité de détourner les usages des lieux, ce qui renforce d’autant plus l’impact des choix effectués en amont et des détails en lien avec le bien-être du patient.

D’où ma question, Ces détails doivent-ils plaider pour une architecture qui n’évacue pas la question de l’utilité et la dimension sociale et symbolique ?

Pour finir, je cite :

 « A l’acceptation seulement spatiale et à l’appréciation purement esthétique, se substitue une définition ancrée dans le quotidien et les rituels sociaux dans lequel se mêlent l’émotion des formes et l’appréciation du domestique. (Hoddé, 2013, p. 73).

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