lundi 30 août 2021

Le stress du voyage

 

D’habitude je stresse la veille du départ en préparant mes valises de peur de ne rien oublier, de tout bien rangé et surtout de finir à l’heure. Il est connu qu’un petit oubli, un imprévu, un vol retardé, la perte des bagages, un enfant malade, un accident, autant de raisons pour déclencher l’angoisse et perturber la sérénité de n’importe quel voyageur endurci. Mais cette année quitte le Liban c’était différent, complètement différent.

 

J’ai commencé à ranger mes valises 2 jours avant le départ, j’ai fait 2/3 courses de dernière minute car même avec le prix élevé des marchandises au Liban et le manque de certaines denrées, il reste des choses que je ne peux pas voyager sans car elles n’existent pas dans mon pays de résidence comme par exemple les haricots rouges, les perles de moghrabiyeh notre couscous libanais, la mélasse de kharroub ou notre savon beldi l’équivalent libanais du savon de Marseille. Au fil de mon séjour à l’étranger, je confectionne une liste de produits à ramener avec moi lors de mon prochain séjour au Liban, histoire de conserver des traditions libanaises par le biais des repas et des habitudes.

Cette année, une étape supplémentaire c’était rajoutée aux préparatifs avant voyage, le test PCR. Il faut aller le faire et surtout angoisser en attendant le résultat en espérant toujours que le résultat soit négatif afin de pouvoir voyager. L’anecdote fait qu’un ami dans le groupe avait tester positif quelques jours avant mon départ ce qui a angoissé le groupe entier constitué majoritairement par des expats sur le point de départ. Les amis quittaient le pays à tour de rôle, c’est la période de la fin de l’été où tout le monde rentre retrouver sa routine, son travail et surtout rentre attendre la date du prochain séjour au Liban.

 

Ceux qui partent ont déjà le mal du pays et quittent avec les larmes aux yeux ceux qui restent qui eux se lamentent sur leur sort à cause de ce qui les attend les jours qui viennent avec cette crise protéiforme, sanitaire, politique et économique souhaitant être à la place de ceux qui partent et surtout vouloir pouvoir assurer un avenir meilleur à leurs enfants et ne jamais les voir affamés.

Pendant une semaine, tous les soirs, c’était le même rituel d’adieux, de vérification des résultats des tests pcr, de discussions autour du moyen de transport du village jusqu’à l’aéroport, du manque d’essence, de moyen de transport et surtout de l’état des routes.  Vu la pénurie de l’essence, de gaz, de médicaments, de pain, les coupures d’électricité, la chute vertigineuse de la livre libanaise face au dollar, la détérioration du niveau de vie et la descente aux enfers de ce beau pays, les citoyens en colère ont commencé à bloquer les routes du Nord au Sud du pays, paralysant tout le pays et rendant l’accès à l’aéroport encore plus difficile.

 

Ceci m’a emmené à décider d’aller dormir chez mon frère, la veille du départ, à mi-chemin entre mon village et l’aéroport. Au réveil ce jour-là, avec le café, j’avais fait le tour de tous les réseaux sociaux pour vérifier l’état des routes, celles fermées et celle non afin d’établir un itinéraire à suivre pour arriver à destination. Mais pour faire ce trajet, il fallait avoir un réservoir plein d’essence et pour cela, j’avais appelé 2 jours avant la propriétaire d’une station d’essence expliquant qu’il me faut le plein dans la voiture afin de pouvoir faire le trajet jusqu’à l’aéroport car avec cette pénurie d’essence il n’y avait pas assez de taxi. Elle a été très aimable et m’a fait passer hors heures d’ouverture pour me mettre quelques litres et me souhaiter bon courage tout en étant envieuse de mon départ.

 

En petite parenthèse, cela me ramène à il y a maintenant 16 ans quand j’étais chez ma copine et collègue à Rennes pour fêter son anniversaire avec son copain à l’époque et ses parents dans leur maison familiale. Entre trou normand et gâteaux, ses parents lui offrent un bidon d’essence en cadeau car à l’époque l’essence en France devenait très chère, on parlait d’une hausse de 7% donc rien à comparer avec la crise qui se passe au Liban de nos jours. J’avais trouvé cela marrant à l’époque mais je n’imaginais jamais que ce genre de cadeau pouvais devenir inestimable et valant plus que de l’or aux yeux de celui qui le reçoit. Au point que, aujourd’hui, lors de mon rdv chez mon unique dentiste agrée, en rigolant, il me dit qu’il ne prenait plus d’honoraires sous forme d’argent mais il serait ravi de recevoir un bidon d’essence, un gallon de fuel pour le générateur d’appoint ou une bonbonne de gaz.

On est arrivé à un stade où on rigole pour ne pas pleurer notre situation, comme c’est étonné un ami français de Marrakech quand je lui ai raconté au téléphoné les bribes d’histoires sur notre crise actuelle me disant et je cite : « mais on est au 21eme siècle ! Qu’attend ton peuple pour renverser ce gouvernement et ce président que vous avez !! »

Effectivement on est au 21eme siècle mais le 21eme siècle libanais où tout le monde avance mais nous reculons, le système s’effondre et le peuple est laissé face à ses traumas.

 

A la veille de mon départ, allongée dans le lit sans pouvoir fermer les yeux à cause du stress voyage, je me rends compte que je suis dans une relation toxique avec mon pays mais je n’arrive pas à partir. Je veux rester dans cet environnement familier même s’il me fait du mal, je veux rester avec mes frères, mes neveux et ma famille mais pour eux je dois partir !

Cette nuit-là, des avions israéliens ont survolé le ciel libanais pour aller bombarder en Syrie et sur la frontière Libano-syrienne semant la terreur parmi nous et m’ont ramené à la réalité m’aidant à quitter le pays à la première heure le matin, malheureusement !

lundi 16 août 2021

Mon Liban, ma crise.

En juin dernier, j’ai pris l’avion sur un coup de tête pour aller passer les vacances dans mon pays natal. Il m'était impossible et impensable de passer encore un été à Marrakech, un été de plus loin de mon pays, mes amis et de ma famille.

La dernière fois quand j’avais quitté le pays, il y a 2 ans,  je venais d’enterrer mon père, je venais de devenir orpheline et je pensais que ma tristesse était à son apogée.


Pendant les 2 ans de mon absence, j’ai perdu beaucoup de mes proches, un nombre conséquent des habitants du village, il y a eu un événement meurtrier dans mon tout petit village perdu au fin fond du pays qui nous a causé la mort de 3 cousins, morts en défendant le village face à des étrangers dangereux et armés. Ceci à petite échelle car pendant les 2 ans de mon absence la révolution a commencé dans le pays mais aussi la Covid-19 a ravagé le monde entier. 

2 ans ont passé ne laissant derrière eux que tristesse et amertume, peine et desespoire. Pendant ces 2 ans, les enfants du monde ont suivi les cours d'école en ligne pendant que moi je suivais les nouvelles des amis, ma famille et du pays en ligne. 

Je vivais les enterrements à travers un écran, le couteau dans le cœur, je vivais les messes de pâques à travers les réseaux sociaux en priant pour que la misère de mon peuple s'arrête. Je vivais la plus grande explosion du siècle sur google pour vérifier la distance entre les maisons de mes connaissances et le port de Beyrouth, un compas et une règle à la main en mode police scientifique pour calculer le rayon des dégâts en attendant d’avoir mes proches au téléphone. Je vivais mes douleurs, mes chagrins, mes déceptions en mode avion pour ne pas les partager avec mon entourage déja noyé dans leur propre merde! 


La préparation du voyage cette fois était exceptionnelle, j’avais lu des articles sur le Liban pendant tout ce temps mais je me disais que le net a tendance à exagérer les faits jusqu'au moment ou j’ai eu mes frères au téléphone me donnant la liste des médicaments à ramener dans ma valise car ces derniers sont en rupture de stock dans les pharmacies. Effectivement ce que j’avais lu était vrai, les expatriés ne remplissent plus leurs valises de cadeaux pour la famille mais de choses indispensables comme les médicaments basiques du type doliprane, antibiotiques, anti-inflammatoires, médoc pour le diabète, le cholestérol, la pression sanguine qui sont tous en rupture de stock et qui sans eux les personnes meurent faute de soins. Certains medicaments sont vendu au marché noir mais le prix est faramineux et l’accés est difficile. Le peuple essaie de se débrouiller comme il peut, il y a eu la création de pages d’entraide sur les réseaux qui favorisent le troc de médicaments, genre je te donne 2 pilules d'anti-inflammatoire contre 3 d'antidépresseur et cela me fait tenir 1 semaine.

 

La situation dans le pays est catastrophique, du jamais vu dans l’histoire du pays depuis la première guerre mondiale, le peuple est en train de mourir à petit feu: Il n’y a pas d’essence, devenu de plus en plus rare en plus des queues de demie-journée pour remplir le réservoir de 10 à 20 litres histoire d’avoir un peu de réserve dans le réservoir en cas d’urgence. Les urgences il y en a, surtout pour emmener un malade à l'hôpital et ca si il y a encore des hôpitaux ouverts et qui ont des médicaments. A cause de l’inflation de la livre libanaise, de la pénurie d'électricité et des médicaments, du gasoil pour le générateurs d’appoint et le manque de soignants,  aujourd’hui il y a 3 hôpitaux majeures dans le pays qui ferment, les autres vont suivre. Le libanais n’ont plus accès à un service de santé correcte, n’ont plus d'électricité qui vient quelques heures par jour. Le mazout est en rupture et les générateurs d’appoint ne peuvent plus assurer le minimum vital. Les commerces, les restaurants, les boutiques ferment faute de pouvoir assurer le minimum syndical. Les boulangeries rationnent le pain dont le prix a été multiplié par 10 en quelques jours et dont le stock ne suffit pas pour tout le monde. La nourriture devient un luxe, se procurer de la viande non avariée devient mission impossible, de même pour les produits laitiers bien conservés. Le risque d'intoxication est très élevé, car les produits stockés dans les supermarchés ou les restaurants ne sont plus frais faute d'électricité, d’essence, de gasoil et autres.


En résumé, le peuple meurt à petit feu, les gens sont déprimés, anxieux et ne pensent qu'à quitter le pays et trouver refuge n’importe où ailleurs.

Le Liban connaît une crise sanitaire et humanitaire grave, il est  passé de la Suisse de l’orient à la poubelle de l'humanité. Si il y a deux ans j’avais cru que la douleur de perdre mon père était le summum de ce que une personne peut vivre, aujourd’hui je dois quitter mon pays, laissant mes amis, ma famille et mes frères dans une situation catastrophique, avec une peur de ne plus jamais pouvoir les revoir, de plus jamais pouvoir revenir car j’ai perdu tout espoir dans ce pays et dans ce peuple qui continu à acclamer cette classe politique de mafieux pourris capable de laisser son peuple périr.