mercredi 11 avril 2018

La charrette à 11 ans




J’émerge tout doucement ce matin après une nuit de charrette avec mon fils sur son projet de science qu’il devait présenter aujourd’hui et sur lequel il n’a pas géré le temps donné par son professeur laissant tout le boulot à la dernière minute. Le travail de 2 semaines de recherches et d’expériences scientifiques pouvait être fait, selon mon fils, en 2 heures après l’école, la veille de sa présentation.
Pourtant, depuis le début de cette année scolaire il a eu plusieurs projets étalés sur 3 semaines et je n’ai pas cessée de lui expliquer la notion de temps et la gestion du travail. Il faut avouer que  cette gestion du temps faisait partie elle aussi du projet et de l’apprentissage à son âge.

L’énorme quantité de travail à fournir ne laissait pas de temps au repos, nous avons commencé la course contre la montre dès que nous avons mis les pieds à la maison après l’école.
Je m’étais préparée en avance à être charrette toute l’après-midi. J’avais déjà connu ce sentiment durant mes études d’architecture ainsi que toutes mes années de travail car les clients sont tous connus pour avoir des dates de rendu irréalisables du genre « c’est pour hier ».

« Etre charrette » est une expression intéressante, longtemps employée par les architectes avant qu’elle ne se popularise. Pour mes lecteurs qui n’ont jamais été « à la bourre » dans leur travail, « être charrette », « être en charrette », « faire charrette » recouvre le super moment où la charge de travail semble ne pas s’alléger, tandis que le délai imparti s’approche de son terme.

Je vais faire une petite parenthèse d’histoire, pour comprendre comment un antique véhicule de transport de fardeaux a fini par évoquer un retard cruel et devenir synonyme de nuits blanches mâtinées de café noir, il faut remonter au XIXe, à la section Architecture de l’école des Beaux-Arts de Paris et jusqu’à nos jours dans toutes les écoles d’architecture dans le monde à quelques détails prés. Lors de l’examen final, les étudiants devaient présenter une maquette, réalisée sous surveillance dans un atelier voisin de l’école et dans un délai assez court. Le matin de la présentation au jury, l’administration faisait envoyer une charrette pour récolter les travaux lourds, fragiles et volumineux, qui devaient arriver achevés. Pour certains étudiants, la seule solution pour terminer leur travail était de monter dans la fameuse charrette et d’y poser les dernières touches à leurs œuvres tout en étant conduits vers le lieu de leur présentation.
Un gain de temps, diraient certains… Cette scène est fameusement racontée par Zola dans L’œuvre.


Donc pour revenir à notre soirée d’hier avec mon fils, nous avons pu partager ensemble un moment de charrette particulièrement important à mes yeux.
Un moment que j’avais uniquement partagé avec mon homme et mes amis architectes jusqu’à aujourd’hui.
Un moment de montée d’adrénaline, de gestion de stress et d’action.

J’ai essayé de lui  apprendre la notion de recherche de la perfection dans les détails, les couleurs et la présentation. J’ai imposé des mouvements chronométrés sans perdre la précision ou le fil conducteur du travail. J’ai demandé des réponses aux questions demandées avec rapidité, lucidité et constance. J’ai demandé de me soumettre les hypothèses de son expérience scientifique, les questions qu’il se pose et sa théorie scientifique basée sur ses observations et expérimentations de plusieurs phénomènes corrélés.

La scientifique que j’ai toujours était s’est jointe à l’architecte que je suis devenue pour reprendre le rôle de leader en mettant la main dans le cambouis, à courir entre l’ordinateur, l’imprimante, les présentations, les fonts, le design et le grand carton allongé par terre, le coup de ciseaux, la colle et les papiers!

Aujourd’hui je suis partagée entre un sentiment de fatigue générale, de satisfaction et de stress.
J’ai retrouvé hier soir le sentiment de  mes nuits de charrette comme en architecture, de l’énorme quantité de travail à fournir en peu de temps et l’obligation d’un rendement intellectuel sous pression. Mais aussi le sentiment de grosse fierté face à mon fils qui a réussi à comprendre, analyser son travail et à bien présenter ce matin au jury qui l’attendait. Le passage devant ses profs était facile, il a fait sa présentation devant des scientifiques qui peuvent comprendre les 3 lois de newton qui fondent la mécanique classique et plus particulièrement la dynamique. Mais le plus dure était la présentation aux enfants du primaire venu assister à la « science fair » et poser des questions parfois pourvues d’aucun sens.

En fin de journée, il m’a annoncé que notre moment de partage était tellement bien la veille qu’il lui a fait oublier le stress de présenter devant un jury. Ce qui pour moi veut dire que notre charrette d’hier ne va surtout pas être notre dernière !