mercredi 16 juin 2021

Mon quatrième mur

 Un jour, lors d’un repas, je discutais cinéma, art et lecture avec un ami quand il m’a parlé du livre « le quatrième mur » de Sorj Chalandon. Je ne connaissais pas ce livre ni cet auteur. J’ai cherché en vain à Marrakech dans toutes les librairies mais je ne l’ai pas trouvé mais j’ai espéré qu’un jour les vols reprendront et que je l’achèterais quand je ferais un saut à Paris. J’avais vraiment envie de le lire.

Puis la semaine dernière, mon ami m’appelle et me dit qu’il a un cadeau pour moi. Lors d’une escapade à Casablanca, il avait trouvé le livre et il me l’avait acheté. Il me l’a offert le vendredi après-midi. Du coup j’ai pris le temps pendant le weekend pour m’offrir une évasion bien méritée le long des pages et le fil de l’histoire. J’ai torché 200 pages en 2 après-midi, flottant sur l’eau dans la piscine, le soleil me caressant ma peau et la douceur des mots me berçant l’âme.

 

Sorj Chalendon est un journaliste, écrivain français et reporter de guerre. Il avait couvert la guerre du Liban de 1981 à 1987 et avait été particulièrement traumatisé par sa visite des camps de Sabra et Chatila lors du massacre de 1982. Dans son livre « le quatrième mur » il a voulu exprimer la douleur qu’il a ressentie en les transposant dans un roman alors qu’il n’avait pas pu le faire en tant que journaliste. 

Sorj Chalandon a décrit dans son livre la cruauté et la violence d’une guerre avec des mots justes, brulants, intenses et bouleversants. Il a imaginé un rêve utopique de réunir des acteurs issus de communautés déchirées et ennemis impliquées dans le conflit au Liban, en les unissant sur scène par le théâtre, l’art avec la pièce Antigone de Jean Anouilh.

 

A un moment dans son livre, il cite le massacre de Sabra et Chatila, il décrit la misère dans la rue, « le béton qui brulait, le ciel arrosé de rage, déchiré par les leurres aveuglants », il a décrit le désarroi des gens dans la rue, la femme qui courait avec son enfant dans les bras, écorchée d’inquiétude, l’adolescent qui « somnanbulait dans la rue à travers les gravas, affole, prisonnier de la fumée, du vacarme, de la fébrilité », l’homme qui marchait « le sang coulait le long de son bras, son manteau arraché, un coté de son visage passé au noir de suite, les yeux ouverts comme morts » …

 

La lecture de ces mots m’a fait pleurer, elle a fait jaillir les souvenirs. Je ne peux pas dire si c’est les larmes des souvenirs de la guerre de 1984, la guerre de 1985 ou ceux de la guerre de 2006, la dernière que j’ai vécue au Liban, un nouveau-né dans les bras. Je ne sais pas si c’est les souvenirs de l’explosion du 04 aout 2020 dans le port de Beirut, que j’ai vécu par correspondance, en ligne, à travers les vidéos et les images envoyées ou relayées par les médias. En tout cas c’est des souvenirs brulants de poussière, de vacarme, d’explosions vives, de pleurs, de sang, d’inquiétude, d’angoisse, des souvenirs douloureux qui ont refait surface et les larmes ont explosés !

 

En ce moment partagée entre mon envie d’aller au Liban après 1 an et demi d’absence et de Covid, mon envie d’offrir des vacances dignes à mes enfants dans mon pays natal et mon inquiétude face à la situation catastrophique de crise économique sans précédents, ce livre a été la goutte qui a fait débordé le vase des émotions.

Enfin je me suis reconnue dans cette Antigone qui a refusé le bonheur pour dire non à l’injustice, non aux rêves brisés, non aux humiliations, non à la faim, non à la souffrance des libanais, à la colère qui se lit dans les regards de mes compatriotes, non à la guerre, non à la crise et non à nos Créon inhumains et insensibles dans le gouvernement.

J’ai vu mon quatrième mur tomber, ce mur qui me séparait de mes souvenirs de guerre, des tragédies, ce mur que j’avais construit inconsciemment pour me protéger.