En tant qu’architecte, j’ai été amenée à travailler sur différents
projets et j’ai eu la chance de tomber sur des demandes très variées allant de
la simple villa aux immeubles de bureaux à énergie positive en passant par les
gendarmeries, les logements sociaux, les hôtels de luxe ou les maisons de
retraite.
Chaque
projet a sa phase d’études, de préparation et d’immersion. Immersion dans le
mode de fonctionnement, immersion dans la gestion de tous les jours, la gestion
des flux et l’occupation futur. C’est la matérialisation du projet
architectural, de l’idée à l’ouvrage avec un objectif clair qui est de saisir
le concept « projet architectural » de la genèse de l’idée jusqu’à ce
qu’il devienne une réalité sur le terrain.
Dans un
des livres que j’ai lus, Jean-Pierre Chupin explique que le projet
« consiste à rapprocher des réalités hétérogènes, sans rapport logique
préalable entre elles : un programme social, des structures porteuses, des
réseaux de fluides, des formes urbaines, des règlements, des couleurs, des
matériaux, etc., à découvrir ou bien à établir des rapports entre ces réalités
». En d'autres termes, à construire une nouvelle réalité ordonnée (on peut dire
de cet ordre qu'il est un sens, une harmonie, une régularité. etc.), ceci en
vue d'un résultat essentiel : rendre l'espace habitable (fonctionnellement,
symboliquement. etc.) ».
Mais, en
réalité, dans pas mal de projets les architectes oublient le côté
psychologique, l’impact des lieux sur le mental des personnes, l’influence de
l’environnement sur l’esprit. Depuis plusieurs années, les spécialistes du
comportement apportent des arguments empiriques sur comment les endroits que
nous habitons peuvent agir sur nos pensées, nos sentiments et nos
comportements, notamment dans les hôpitaux. Plus que pour d’autres bâtiments,
la construction d’un hôpital s’avère extrêmement contrainte par un programme
d’une grande complexité fixé en amont et avec lequel l’architecte doit composer
tout comme avec le site et les règles, elles aussi très contraignantes, de la
composition architecturale.
J’ai
travaillé sur la conception de l’hôpital Cognacq-Jay à Paris avec l’architecte
Toyo Ito, pour ceux qui le connaissent, j’ai bossé avec l’équipe sur beaucoup
de détails relatif au bâtiment, aux façades, aux jeux de lumières, l’éclairage
dans le respect de la signature de l’architecte star, les vis, le calepinage
des carreaux par rapport aux interrupteurs, les rideaux, les portes, après tout
le respect des normes du Dtu, les normes de l’accessibilité des personnes à
mobilité réduite, les brancards et la protection des murs, les accès pompiers,
la sécurité incendie. On a imaginé les occupants des lieux vivre au quotidien,
passer par là, dormir ici, travailler avec assez de lumière de jour, ne pas avoir
froid en fonction de l’orientation de la chambre, les sièges pour les
visiteurs, etc.
On a
quadrillé tous les aspects du bâtiment et on a fini avec un beau projet, mais
pendant tout ce temps, je ne me suis jamais imaginée en tant que patiente et ce
que l’angoisse de la maladie pouvait avoir comme impact sur moi !
Mais
depuis quelques années, j’ai visité des hôpitaux en tant que patiente, en tant
qu’accompagnatrice, en tant qu’utilisatrice. Il y a quelques mois, j’ai été à
l’hôpital accompagnant mon mari pour des examens annuels, j’ai patienté pendant
des heures dans la salle d’attente sombre au sous-sol à regarder les malades
passer, les médecins crapahuter, les infirmières cheminer et les murs blancs
sans âme. La conception de cette pièce d’attente sans fenêtres, avec un
éclairage fluorescent blanc et sans stimulation a généré de l’ennui qui a fait monter
le niveau de stress et a fait revenir beaucoup de souvenirs douloureux sans
oublier le temps d’attente, le stress, le manque d’oxygène et l’angoisse des
résultats.
Si cet espace m’a complètement chamboulé c’est à cause de son aménagement et sa
conception. Il y a 3 ans, j’ai passé une semaine avec mon père dans un hôpital
neuf au Liban. En dehors du stress des analyses et de l’angoisse des résultats,
le séjour d’une semaine était vécu avec un service plutôt hôtelier
qu’hospitalier dans une chambre avec vue sur mer !
Toutes
les chambres de cet hôpital ont été conçues en respectant les règles
d’aménagement en matière d’accessibilité handicapés ce qui permet à ceux qui
peuvent de pouvoir évoluer sans assistance dans leur chambre. En effet la
chambre a été dès le départ pensée pour favoriser au maximum l’autonomie, la
sérénité et le confort sonore en dehors du bruit habituel des hôpitaux.
Avec du
recul aujourd’hui, je suis persuadée qu’on ne peut pas désolidariser la réflexion
sur la conception architecturale de celle de sa réception. Dans un hôpital, les
usagers sont particulièrement vulnérables et dans la quasi impossibilité de détourner
les usages des lieux, ce qui renforce d’autant plus l’impact des choix effectués
en amont et des détails en lien avec le bien-être du patient.
D’où ma question, Ces détails
doivent-ils plaider pour une architecture qui n’évacue pas la question de l’utilité
et la dimension sociale et symbolique ?
Pour
finir, je cite :
« A l’acceptation seulement spatiale et à
l’appréciation purement esthétique, se substitue une définition ancrée dans le
quotidien et les rituels sociaux dans lequel se mêlent l’émotion des formes et
l’appréciation du domestique. (Hoddé, 2013, p. 73).