Ca fait maintenant quelques mois que, quand je demande à mon fils ce qu’il est entrain de faire, il me répond : « j’écris des essais en guise de devoirs. » Et quelques part, cette phrase a réveillé en moi l’envie de me remettre devant mon blog, de recommencer à écrire, moi aussi.
Ces dernières
semaines, la surdose de médicaments et d’antibiotiques a altéré mes sens.
Mes émotions passaient à travers un filtre étrange, comme déformées, déplacées,
amplifiées.
Et puis est arrivée
la fête de l’indépendance du Liban, ce weekend, un déclencheur qui a touché une
corde sensible, un frisson qui m’a traversé d’un coup, comme si un pan entier
de ma mémoire se réveillait. Et comme pour accentuer encore ce vertige, j’ai
commencé à installer le sapin de Noel. Ses lumières chaudes, mêlées à la
nostalgie d’une fête nationale célébrée loin de chez moi, ont tout ravivé, ont réveillé
une nostalgie douce et douloureuse à la fois. Tout s’est entremêlé : la
fatigue, les sentiments, les silences, les manques, l’éloignement, mes frères
que je vois à travers des calls, l’amour du pays, les souvenirs accrochés aux
branches du sapin….. Je me suis retrouvée prise dans un mélange doux-amer, entre
la lumière du sapin et l’ombre de mon pays, entre ce que j’ai quitté et ce que
je construis. Un tourbillon qui m’a poussé à me questionner, à revisiter qui je
suis, d’où je viens et ce que je deviens.
Depuis quelque temps,
ma vie ressemble à un patchwork émotionnel : les fêtes que j’invente, ces
traditions que je rafistole, un peu du Liban, un peu de la France, un peu d’ici….
Comme si je cousais des morceaux d’identité pour me donner, à moi et ma
famille, un « chez nous ». Mais parfois, même ce mot – chez moi - devient flou.
Et c’est justement dans
ces flous que s’invite la peur. La peur de perdre ce qui m’a construite, la
peur que tout se dilue, que mes repères glissent entre mes doigts. La peur de
ne pas donner assez de racines, de laisser mes enfants flotter entre deux
terres comme moi. La peur que ce « entre-deux » devienne un vide au
lieu d’un pont.
Je me tiens souvent
entre deux mondes : à la fois trop loin d’où je viens et pas complètement
ancrée là ou je suis, en tant que femme et surtout en tant que mère.
Les appels vidéo ont
remplacé les grandes tables familiales, mes enfants apprennent à aimer des visages
qui vivent dans un écran, à rire et s’émerveiller d’instants capturés dans la
lumière d’une caméra. Egalement, pour mes neveux et nièces, je suis cette « tata
à distance » celle qui ne traverse leur quotidien qu’un mois par an, mais
dont la folie et les éclats de rire sont pleinement partagés à travers des
pixels.
Elever des enfants
entre deux cultures, dans un pays tiers qui n’a façonné aucun de nous deux, c’est
marcher avec délicatesse sur un fil invisible. C’est se sentir déracinée et
pourtant entrain de pousser ailleurs. C’est perdre quelques repères pour en
créer de nouveaux, rien qu’à nous :
Je leur apprends des
mots que mes voisins ne comprennent pas.
Je cherche les miens
parfois perdus dans le coin de ma mémoire.
Je traduis mes
émotions plus souvent que mes phrases.
Mon accent change
selon les jours : il s’adoucit dans une langue et s’alourdit dans l’autre.
Les chansons de mon
enfance résonnent autrement.
J’ai envie de plats
que personne ici ne sait préparer.
Et mes enfants,
peinent à imaginer les coutumes, les repas, les rires et les histoires que moi
j’ai connus autrefois, des fragments de vies que je leur raconte à travers des
éclats de souvenirs et de gestes.
Mes enfants, sur leurs
chemins, ramassent des gestes, des habitudes, des éclats de vies qui ne
viennent ni totalement de moi, ni totalement d’ici. Ils tissent un peu de
chaque monde dans leur manière d’être, un mélange fragile et beau, comme si une
terre qui n’est pas vraiment la mienne devenait doucement la leur.
Et puis, le lendemain,
ça te frappe : Ce que je vis n’est pas une crise d’identité. C’est une
renaissance, pour moi et pour eux.
Se perdre un peu, se
retrouver autrement. Apprendre que l’entre deux n’est pas un vide, mais un
espace à inventer. Que l’amour, lui, n’a ni frontières ni fuseaux horaires. Qu’il
se tisse dans chaque rire partagé, chaque mot inventé, chaque souvenir
transmis. Et dans ce va-et-vient entre ce qui a été et ce qui devient, nous
trouvons notre place. Notre fil. Notre magie.


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