lundi 24 novembre 2025

Indépendance ou Renaissance

Ca fait maintenant quelques mois que, quand je demande à mon fils ce qu’il est entrain de faire, il me répond : « j’écris des essais en guise de devoirs. » Et quelques part, cette phrase a réveillé en moi l’envie de me remettre devant mon blog, de recommencer à écrire, moi aussi.

Ces dernières semaines, la surdose de médicaments et d’antibiotiques a altéré mes sens. Mes émotions passaient à travers un filtre étrange, comme déformées, déplacées, amplifiées.

Et puis est arrivée la fête de l’indépendance du Liban, ce weekend, un déclencheur qui a touché une corde sensible, un frisson qui m’a traversé d’un coup, comme si un pan entier de ma mémoire se réveillait. Et comme pour accentuer encore ce vertige, j’ai commencé à installer le sapin de Noel. Ses lumières chaudes, mêlées à la nostalgie d’une fête nationale célébrée loin de chez moi, ont tout ravivé, ont réveillé une nostalgie douce et douloureuse à la fois. Tout s’est entremêlé : la fatigue, les sentiments, les silences, les manques, l’éloignement, mes frères que je vois à travers des calls, l’amour du pays, les souvenirs accrochés aux branches du sapin….. Je me suis retrouvée prise dans un mélange doux-amer, entre la lumière du sapin et l’ombre de mon pays, entre ce que j’ai quitté et ce que je construis. Un tourbillon qui m’a poussé à me questionner, à revisiter qui je suis, d’où je viens et ce que je deviens.

 

Depuis quelque temps, ma vie ressemble à un patchwork émotionnel : les fêtes que j’invente, ces traditions que je rafistole, un peu du Liban, un peu de la France, un peu d’ici…. Comme si je cousais des morceaux d’identité pour me donner, à moi et ma famille, un « chez nous ». Mais parfois, même ce mot – chez moi - devient flou.

Et c’est justement dans ces flous que s’invite la peur. La peur de perdre ce qui m’a construite, la peur que tout se dilue, que mes repères glissent entre mes doigts. La peur de ne pas donner assez de racines, de laisser mes enfants flotter entre deux terres comme moi. La peur que ce « entre-deux » devienne un vide au lieu d’un pont.

 

Je me tiens souvent entre deux mondes : à la fois trop loin d’où je viens et pas complètement ancrée là ou je suis, en tant que femme et surtout en tant que mère.

 

Les appels vidéo ont remplacé les grandes tables familiales, mes enfants apprennent à aimer des visages qui vivent dans un écran, à rire et s’émerveiller d’instants capturés dans la lumière d’une caméra. Egalement, pour mes neveux et nièces, je suis cette « tata à distance » celle qui ne traverse leur quotidien qu’un mois par an, mais dont la folie et les éclats de rire sont pleinement partagés à travers des pixels.

Elever des enfants entre deux cultures, dans un pays tiers qui n’a façonné aucun de nous deux, c’est marcher avec délicatesse sur un fil invisible. C’est se sentir déracinée et pourtant entrain de pousser ailleurs. C’est perdre quelques repères pour en créer de nouveaux, rien qu’à nous :

Je leur apprends des mots que mes voisins ne comprennent pas.

Je cherche les miens parfois perdus dans le coin de ma mémoire.

Je traduis mes émotions plus souvent que mes phrases.

Mon accent change selon les jours : il s’adoucit dans une langue et s’alourdit dans l’autre.

Les chansons de mon enfance résonnent autrement.

J’ai envie de plats que personne ici ne sait préparer.

Et mes enfants, peinent à imaginer les coutumes, les repas, les rires et les histoires que moi j’ai connus autrefois, des fragments de vies que je leur raconte à travers des éclats de souvenirs et de gestes.

 

Mes enfants, sur leurs chemins, ramassent des gestes, des habitudes, des éclats de vies qui ne viennent ni totalement de moi, ni totalement d’ici. Ils tissent un peu de chaque monde dans leur manière d’être, un mélange fragile et beau, comme si une terre qui n’est pas vraiment la mienne devenait doucement la leur.

 

Et puis, le lendemain, ça te frappe : Ce que je vis n’est pas une crise d’identité. C’est une renaissance, pour moi  et pour eux.

Se perdre un peu, se retrouver autrement. Apprendre que l’entre deux n’est pas un vide, mais un espace à inventer. Que l’amour, lui, n’a ni frontières ni fuseaux horaires. Qu’il se tisse dans chaque rire partagé, chaque mot inventé, chaque souvenir transmis. Et dans ce va-et-vient entre ce qui a été et ce qui devient, nous trouvons notre place. Notre fil. Notre magie.