Depuis qu’il y a eu cette crise sanitaire de Covid-19 qui a bloqué le monde entier, cloué des avions et séparé des amis, je me suis bâti des murs autour de mon cœur pour ne pas ressentir le manque d’être avec ma famille, mes cousins et mes frères. J’étais devenue forte ou plus concrètement je vivais dans le déni de tout sentiment de nostalgie, j’ai bâti une forteresse et je me suis réfugiée dedans pour ne pas faire rimer expatriation et dépression arrosé d’un cocktail de culpabilité et de doute.
Je ne suis pas la seule expatriée au monde, beaucoup de
personnes partagent mes sentiments. L’expatriation nous force à trouver d’autres
moyens pour « être là » avec la famille et les amis sans vraiment y être
physiquement. « Être la » devient différent. Nous ne pouvons pas
facilement faire un câlin ou passer boire un café mais si besoin il y toujours
le « je suis là » par écrit, par téléphone et le soutien se fait moralement,
sur WhatsApp, telegram ou toutes ces plateformes qui permettent de communiquer
en vidéo… Un café le matin avec la copine au Cambodge, un café à 10h avec la
cousine à Dubaï, un call à 13h avec les frères au Liban et un dernier à 16h
avec la copine aux states sans oublier les compatriotes expatriées qui ont
besoin eux aussi de partager une peine, un manque ou un besoin d’aller voir
leurs familles. Nous gérons comme nous pouvons notre vie de tous les jours avec
une seule idée en tête, le rêve des retrouvailles !
Je viens d’un tout petit village niché dans les montagnes du
nord du Liban qui a un air de carte postale, un havre de paix avec une centaine
de maisons maximum, des rues arborées, un charme d’antan et une communauté
harmonieuse qui rend jaloux tous les autres villageois du monde. J’ai grandi
dans ce beau village de cousins et cousines, j’ai passé toutes mes années d’adolescence
jusqu’au jour où j’ai décidé de quitter le Liban pour faire des études supérieures
en France et depuis, ça fait maintenant 20 ans, je ne rentre que pour les
vacances d’été, hors période covid bien sûr. Mais ce sentiment d’appartenance à
cette communauté de gens de tous âge et d’expériences variées est un pilier de ma
vie, c’est mon endroit où je me sens en sécurité, accueillies et acceptées, où
le sens de la famille va bien au-delà des murs immédiats.
Ce qui m’est le plus précieux dans ce village, c’est mes
souvenirs d’enfance, mes conneries dans tous les coins de rues, mes amis et
surtout et avant tout mes frères, ce qui me reste après le départ de mes deux
parents. Avec eux, je me sens aimée, protégée, soutenue face à l’inconnu, aux misères,
aux problèmes de la vie. Ils sont fidèles, aimants, bons vivants et surtout
protecteurs. Avec eux j’ai le sentiment d’être forte et prête à tout. Et ce
sentiment me manque tout le temps que je passe loin d’eux. Ils sont mon réconfort
après une journée difficile, mon allié bonne humeur, mon conseil face aux
tracas du quotidien et ma plus belle bénédiction. Je ne les compare pas avec ma
petite famille, c’est juste différent.
En parallèle, une autre chance que j’ai c’est mes amis d’enfance.
Dans mon village, on est un groupe d’une vingtaine de personnes, très soudé, très
serviables et très fusionnels, nos conjoints se sont bien intégrés dans le
groupe aussi, ils sont comme une ramification naturelle de notre amitié. Quand on
est au village, on passe beaucoup de temps ensemble que ce soit la journée ou
le soir et on profite de ces retrouvailles comme si on ne s’était jamais quitté.
Ce qui est génial avec ces amis d’enfance c’est cette amitié particulière et pure
qui dure aussi longtemps en bravant la distance et les difficultés. Ensemble nous
avons partagé beaucoup de moments essentiels, nous nous sommes connus très
jeunes, nous avons partagés d’innombrables expériences qui nous ont marquées, nous avons
faits nos premiers pas ensemble, dans tous les sens du terme. On fait partis
des racines de l’un et de l’autre.
Avec eux, je peux être moi-même. Ils me connaissent depuis
tellement longtemps, avec mes défauts et mes qualités, ils m’ont vu vivre mille
choses différentes et ils ont toujours été là pour moi. Ils me rappellent,
quand je suis avec eux, qu’à leurs yeux je suis et serais toujours une femme de
valeur en raison de qui je suis personnellement et non pas qui je suis devenue.
Et cela n’a pas de valeur. Ce sentiment sécurisant et de réconfort c’est ce qui
me manque quand je suis loin même si au-delà des frontières de mon village j’ai
beaucoup d’amis que j’apprécie, que j’aime et que je ne changerai pour rien au
monde.
Après mon retour du Liban, il me faut une infiniment longue période
d’adaptation à ma routine, à ma vie, à mes longues journées et cette période
peut s’avérer parfois très intense au point que je suis en train de me demander
aujourd’hui s’il ne faut pas créer un ministère de la solitude pour les expatriés
loin de leur pays natal ?