D’habitude je stresse la veille du départ en
préparant mes valises de peur de ne rien oublier, de tout bien rangé et surtout
de finir à l’heure. Il est connu qu’un petit oubli, un imprévu, un vol retardé,
la perte des bagages, un enfant malade, un accident, autant de raisons pour déclencher
l’angoisse et perturber la sérénité de n’importe quel voyageur endurci. Mais cette
année quitte le Liban c’était différent, complètement différent.
J’ai commencé
à ranger mes valises 2 jours avant le départ, j’ai fait 2/3 courses de dernière
minute car même avec le prix élevé des marchandises au Liban et le manque de certaines
denrées, il reste des choses que je ne peux pas voyager sans car elles n’existent
pas dans mon pays de résidence comme par exemple les haricots rouges, les perles
de moghrabiyeh notre couscous libanais, la mélasse de kharroub ou notre savon
beldi l’équivalent libanais du savon de Marseille. Au fil de mon séjour à l’étranger,
je confectionne une liste de produits à ramener avec moi lors de mon prochain séjour
au Liban, histoire de conserver des traditions libanaises par le biais des
repas et des habitudes.
Cette année,
une étape supplémentaire c’était rajoutée aux préparatifs avant voyage, le test
PCR. Il faut aller le faire et surtout angoisser en attendant le résultat en espérant
toujours que le résultat soit négatif afin de pouvoir voyager. L’anecdote fait
qu’un ami dans le groupe avait tester positif quelques jours avant mon départ
ce qui a angoissé le groupe entier constitué majoritairement par des expats sur
le point de départ. Les amis quittaient le pays à tour de rôle, c’est la période
de la fin de l’été où tout le monde rentre retrouver sa routine, son travail et
surtout rentre attendre la date du prochain séjour au Liban.
Ceux qui
partent ont déjà le mal du pays et quittent avec les larmes aux yeux ceux qui
restent qui eux se lamentent sur leur sort à cause de ce qui les attend les
jours qui viennent avec cette crise protéiforme, sanitaire, politique et économique
souhaitant être à la place de ceux qui partent et surtout vouloir pouvoir
assurer un avenir meilleur à leurs enfants et ne jamais les voir affamés.
Pendant une
semaine, tous les soirs, c’était le même rituel d’adieux, de vérification des résultats
des tests pcr, de discussions autour du moyen de transport du village jusqu’à l’aéroport,
du manque d’essence, de moyen de transport et surtout de l’état des routes. Vu la pénurie de l’essence, de gaz, de médicaments,
de pain, les coupures d’électricité, la chute vertigineuse de la livre
libanaise face au dollar, la détérioration du niveau de vie et la descente aux
enfers de ce beau pays, les citoyens en colère ont commencé à bloquer les routes
du Nord au Sud du pays, paralysant tout le pays et rendant l’accès à l’aéroport
encore plus difficile.
Ceci m’a emmené
à décider d’aller dormir chez mon frère, la veille du départ, à mi-chemin entre
mon village et l’aéroport. Au réveil ce jour-là, avec le café, j’avais fait le
tour de tous les réseaux sociaux pour vérifier l’état des routes, celles fermées
et celle non afin d’établir un itinéraire à suivre pour arriver à destination.
Mais pour faire ce trajet, il fallait avoir un réservoir plein d’essence et
pour cela, j’avais appelé 2 jours avant la propriétaire d’une station d’essence
expliquant qu’il me faut le plein dans la voiture afin de pouvoir faire le trajet
jusqu’à l’aéroport car avec cette pénurie d’essence il n’y avait pas assez de
taxi. Elle a été très aimable et m’a fait passer hors heures d’ouverture pour
me mettre quelques litres et me souhaiter bon courage tout en étant envieuse de
mon départ.
En petite
parenthèse, cela me ramène à il y a maintenant 16 ans quand j’étais chez ma
copine et collègue à Rennes pour fêter son anniversaire avec son copain à
l’époque et ses parents dans leur maison familiale. Entre trou normand et
gâteaux, ses parents lui offrent un bidon d’essence en cadeau car à l’époque
l’essence en France devenait très chère, on parlait d’une hausse de 7% donc
rien à comparer avec la crise qui se passe au Liban de nos jours. J’avais
trouvé cela marrant à l’époque mais je n’imaginais jamais que ce genre de
cadeau pouvais devenir inestimable et valant plus que de l’or aux yeux de celui
qui le reçoit. Au point que, aujourd’hui, lors de mon rdv chez mon unique dentiste
agrée, en rigolant, il me dit qu’il ne prenait plus d’honoraires sous forme
d’argent mais il serait ravi de recevoir un bidon d’essence, un gallon de fuel pour
le générateur d’appoint ou une bonbonne de gaz.
On est arrivé
à un stade où on rigole pour ne pas pleurer notre situation, comme c’est étonné
un ami français de Marrakech quand je lui ai raconté au téléphoné les bribes d’histoires
sur notre crise actuelle me disant et je cite : « mais on est au
21eme siècle ! Qu’attend ton peuple pour renverser ce gouvernement et ce président
que vous avez !! »
Effectivement
on est au 21eme siècle mais le 21eme siècle libanais où tout le monde avance
mais nous reculons, le système s’effondre et le peuple est laissé face à ses
traumas.
A la
veille de mon départ, allongée dans le lit sans pouvoir fermer les yeux à cause
du stress voyage, je me rends compte que je suis dans une relation toxique avec
mon pays mais je n’arrive pas à partir. Je veux rester dans cet environnement familier
même s’il me fait du mal, je veux rester avec mes frères, mes neveux et ma
famille mais pour eux je dois partir !
Cette nuit-là,
des avions israéliens ont survolé le ciel libanais pour aller bombarder en
Syrie et sur la frontière Libano-syrienne semant la terreur parmi nous et m’ont
ramené à la réalité m’aidant à quitter le pays à la première heure le matin,
malheureusement !