Un jour, lors d’un repas, je discutais cinéma, art et lecture avec un ami quand il m’a parlé du livre « le quatrième mur » de Sorj Chalandon. Je ne connaissais pas ce livre ni cet auteur. J’ai cherché en vain à Marrakech dans toutes les librairies mais je ne l’ai pas trouvé mais j’ai espéré qu’un jour les vols reprendront et que je l’achèterais quand je ferais un saut à Paris. J’avais vraiment envie de le lire.
Puis la
semaine dernière, mon ami m’appelle et me dit qu’il a un cadeau pour moi. Lors
d’une escapade à Casablanca, il avait trouvé le livre et il me l’avait acheté. Il
me l’a offert le vendredi après-midi. Du coup j’ai pris le temps pendant le
weekend pour m’offrir une évasion bien méritée le long des pages et le fil de l’histoire.
J’ai torché 200 pages en 2 après-midi, flottant sur l’eau dans la piscine, le
soleil me caressant ma peau et la douceur des mots me berçant l’âme.
Sorj
Chalendon est un journaliste, écrivain français et reporter de guerre. Il avait
couvert la guerre du Liban de 1981 à 1987 et avait été particulièrement
traumatisé par sa visite des camps de Sabra et Chatila lors du massacre de
1982. Dans son livre « le quatrième mur » il a voulu exprimer la
douleur qu’il a ressentie en les transposant dans un roman alors qu’il n’avait
pas pu le faire en tant que journaliste.
Sorj
Chalandon a décrit dans son livre la cruauté et la violence d’une guerre avec
des mots justes, brulants, intenses et bouleversants. Il a imaginé un rêve utopique
de réunir des acteurs issus de communautés déchirées et ennemis impliquées dans
le conflit au Liban, en les unissant sur scène par le théâtre, l’art avec la pièce
Antigone de Jean Anouilh.
A un
moment dans son livre, il cite le massacre de Sabra et Chatila, il décrit la misère
dans la rue, « le béton qui brulait, le ciel arrosé de rage, déchiré par
les leurres aveuglants », il a décrit le désarroi des gens dans la rue, la
femme qui courait avec son enfant dans les bras, écorchée d’inquiétude, l’adolescent
qui « somnanbulait dans la rue à travers les gravas, affole, prisonnier de
la fumée, du vacarme, de la fébrilité », l’homme qui marchait « le
sang coulait le long de son bras, son manteau arraché, un coté de son visage passé
au noir de suite, les yeux ouverts comme morts » …
La
lecture de ces mots m’a fait pleurer, elle a fait jaillir les souvenirs. Je ne
peux pas dire si c’est les larmes des souvenirs de la guerre de 1984, la guerre
de 1985 ou ceux de la guerre de 2006, la dernière que j’ai vécue au Liban, un nouveau-né
dans les bras. Je ne sais pas si c’est les souvenirs de l’explosion du 04 aout
2020 dans le port de Beirut, que j’ai vécu par correspondance, en ligne, à
travers les vidéos et les images envoyées ou relayées par les médias. En tout
cas c’est des souvenirs brulants de poussière, de vacarme, d’explosions vives,
de pleurs, de sang, d’inquiétude, d’angoisse, des souvenirs douloureux qui ont
refait surface et les larmes ont explosés !
En ce
moment partagée entre mon envie d’aller au Liban après 1 an et demi d’absence
et de Covid, mon envie d’offrir des vacances dignes à mes enfants dans mon pays
natal et mon inquiétude face à la situation catastrophique de crise économique
sans précédents, ce livre a été la goutte qui a fait débordé le vase des émotions.
Enfin je
me suis reconnue dans cette Antigone qui a refusé le bonheur pour dire non à l’injustice,
non aux rêves brisés, non aux humiliations, non à la faim, non à la souffrance
des libanais, à la colère qui se lit dans les regards de mes compatriotes, non à
la guerre, non à la crise et non à nos Créon inhumains et insensibles dans le
gouvernement.
J’ai vu mon
quatrième mur tomber, ce mur qui me séparait de mes souvenirs de guerre, des tragédies,
ce mur que j’avais construit inconsciemment pour me protéger.