jeudi 10 octobre 2024

Périodes teintées

 Ca fait plusieurs jours que j’ai mal au ventre et que je me demande si j’ai chopé le virus qui traine en ce moment au Maroc, mais aujourd’hui, je viens de comprendre que j’ai chopé le virus « boule au ventre » qui traine chez la diaspora libanaise, un mal que tout libanais a depuis que la guerre a commencé au Liban, un sentiment de contraste dévastateur entre la distance physique et l'intensité émotionnelle.

 

Un comédien et acteur de mon pays a dit récemment « quand mon pays va mal, je vais mal », il a bien décrit ce sentiment profondément ancré dans l'empathie et l'identité personnelle. Il est bien vrai que lorsque mon pays natal est sous les bombes, cette connexion devient encore plus intense surtout depuis l’étranger : chaque explosion résonne en moi comme une douleur lancinante. L'angoisse pour ma famille, sous les bombes, est omniprésente. Je me sens à la fois impuissante et coupable. Coupable car je suis à l’abri. Les nuits sont marquées par des cauchemars, et chaque appel manqué accentue le sentiment d'isolement. Malgré la distance, l'amour et la peur se mêlent, créant une lutte intérieure perpétuelle entre le désir de protéger, d’aider, de soutenir et l'incapacité de le faire.

 

 

Chaque jour, je ressens cette douleur palpable, cette inquiétude constante pour les proches restés sur place et pour la terre qui m’a vu grandir.

Chaque jour, je suis submergée par un flux incessant d’informations sur la guerre qui ravage mon pays. Mon téléphone vibre en permanence avec des alertes, chaque son déclenchant une montée d’adrénaline et une inquiétude sourde.

Chaque jour, Mon esprit vit un orage chaotique, où chaque rapport sur la situation me hante, me rendant difficile de me concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Les journées sont longues et les problèmes de chantiers, de climatisation, de rouge ou de noir ne valent rien à mes yeux en ce moment.

Chaque jour, Je lutte avec ce désir de rester informée, mais cette connaissance est un cycle vicieux d’angoisse. Dans les moments de répit, même manger ou travailler ne fait que raviver mes pensées, alors que j'attends désespérément des nouvelles rassurantes de mes proches, de mes amis, de mes copatriotes dont la sécurité m’inquiète profondément.

Chaque nouvelle d'attaques ou de souffrances infligées à mon pays ravive un sentiment d'impuissance et de tristesse. C'est comme si une partie de moi-même était en danger, comme si la souffrance collective résonnait en moi.

Le stress et l'anxiété deviennent des compagnons permanents, affectant ma santé mentale et mon quotidien. Les souvenirs heureux de mon pays contrastent cruellement avec la réalité actuelle, créant un sentiment de perte et de nostalgie. Il est difficile de se sentir bien dans un monde où tant de gens souffrent, dans un monde qui a perdu son humanité.

Chaque jour, l'espoir d’un avenir meilleur se heurte au désespoir face à la réalité, et je me sens enchaînée à cette souffrance collective qui éclipse ma propre vie, qui me pousse à me demander s’il y aura un avenir pour mon pays, si je vais perdre une partie de mon identité.

 

 

 

Hier, Assise sur mon canapé, je ressentais chaque explosion comme une détonation dans mon cœur. Mes pensées voguaient entre le présent et le passé, les histoires que me racontaient ma mère quand j’étais jeune refont surface. 

Elle me racontait souvent ses souvenirs, ses nuits d’angoisse où elle s’accrochait à son téléphone, espérant entendre la voix de ses proches, celle qui apaiserait ses craintes. C’était juste après son mariage pendant la guerre civile de 1975-1976 quand elle a suivie son mari, mon père, en Arabie saoudite son pays de résidence à l’époque, son lieu de travail. Elle me racontait comment les journées s’étiraient, mélancoliques, ponctuées par l’angoisse d’un message, comment la nourriture perdait son goût, chaque bouchée devenait un effort, un rappel cruel de la vie qui continuait alors que la sienne semblait figée dans l’attente. Aujourd’hui, c’est à mon tour de vivre cette douleur, de m'accrocher à mon écran, guettant des nouvelles de mes proches au Liban, de ressentir la même paralysie, la même impuissance, à des milliers de kilomètres de ceux que j’aime.

 

Chaque seconde les messages des amis qui veulent avoir des nouvelles de ma famille s’affichent sur l’écran, des mots de soutien et de compatis, des messages d’amour et de désarroi s’entremêlent avec les images de destruction et de chaos. 


Les collègues et les amis finissent toujours leurs messages par vous les libanais vous êtes résilient, on admire votre résilience…. Oui mais nous on en a marre! Nous avons déjà prouvé notre résilience à plusieurs reprises, nous avons gardé les séquelles des guerres antérieures, de l’inflation, de la crise économique, de la révolution et comme a dit une humoriste belge d’origine libanaise: nous sommes les Héritiers de traumas intergénérationnels et pire encore….